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SAISON 1 - PARIS
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CHAPITRE 1

J’aime les femmes. Jeunes. Âgées. Petites ou grandes. De la geek studieuse à la bombe sexuelle, je ne suis pas difficile. Qu’elles soient grandes, minces ou pulpeuses… je les ai toutes essayées. J’ai touché, dragué, embrassé et couché avec tous les genres possibles et imaginables. Il paraît qu’on a tous, sur terre, un don, quelque chose d’unique. Le mien, c’est de comprendre les femmes. Je m’appelle Parker Ellis et je suis un sacré veinard.

Avoir la chance de mettre à profit mon talent est la plus belle des récompenses. Pouvoir se consacrer nuit et jour à quelque chose que l’on adore n’est pas courant. C’est plutôt le contraire. En ce qui me concerne, j’ai mis un point d’honneur à ne jamais faire ce que je n’aimais pas. Et moi, j’adore les femmes. Toutes les femmes.

J’ai découvert qu’elles sont des créatures complexes, difficiles à cerner, et qu’il n’y en a pas deux qui se ressemblent. C’est pourquoi j’ai créé International Guy Inc. Dans le monde, nombreuses sont les femmes qui ont besoin d’un homme sûr de lui, solide et doté d’une grande attention pour leur venir en aide. Un homme comme moi.

Je suis le Dream Maker.

Vous avez un rêve et assez d’argent pour le concrétiser ? Alors, on peut discuter. Quand on a de l’argent, tout est possible. Je suis le mec qui vous aide à réaliser vos rêves.

Chez International Guy Inc., on répond aux besoins de nos clientes. Aucune demande n’est trop bizarre ou trop compliquée. Tant que ce n’est pas illégal… on s’en occupe.

Commençons par mon équipe. On dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant ; pour International Guy, il y a besoin de moi et de deux autres gars : Bogart « Bo » Montgomery et Royce Sterling. Je les connais depuis ma première année de fac à Harvard. Nous formons un trio gagnant.

J’ai su assez tôt que je voulais réussir dans la vie. Mon père m’a appris que pour avoir du succès en affaires et bien gagner sa vie, il fallait travailler à l’école. Il était barman, ma mère bibliothécaire ; évidemment, j’aspirais à plus. En matière d’amour et de soutien parental, j’ai été comblé : bien élevé, bien nourri, je ne manquais pas de vêtements ni de chaussures. En revanche, ma famille ne roulait pas sur l’or. Et les petits plaisirs étaient rares.

J’ai grandi dans la banlieue de Boston, la ville des Red Sox et des Patriots. Nous vivions dans une petite maison en briques. Minuscule, même. Il n’y avait que deux chambres. Toute mon enfance, j’ai partagé ma chambre avec mon frère. Ma mère disait que ça nous rapprochait. Pas sûr. Dès que mon frère a terminé le lycée, il s’est engagé dans l’armée. Depuis, il fait carrière comme militaire. Nous sommes proches comme des frères séparés par un continent peuvent l’être.

Rien à voir, donc, avec ce qui me lie à Bo et Royce. Je sacrifierais ma vie pour ces deux-là, et vice versa. Notre relation repose sur une sincère amitié, du travail acharné et de la solidarité. Pour pouvoir rester amis toute la vie, il nous fallait désirer les mêmes choses :

Les femmes.

L’argent.

Le pouvoir.

Nous avons quelques règles à respecter, en amitié comme en affaires : ne jamais perdre de vue les intérêts des autres, toujours favoriser l’honnêteté et ne jamais coucher avec la même femme. Jamais.

Cela fait presque cinq ans que notre entreprise est en activité, et des contrats de plus en plus importants tombent chaque jour. Notre mode de fonctionnement est simple : nous diviser pour surmonter les défis. Quand c’est nécessaire, nous joignons nos forces. En fonction des besoins de nos clientes, nous envoyons l’homme le plus adapté.

Bo est notre Love Maker. Non seulement la plupart de nos clientes tombent raides dingues de lui mais il sait surtout les aider à trouver l’amour. Son expertise dans le domaine de la séduction est sans égale. Royce et moi nous défendons, mais Bogart se place à un tout autre niveau. Il a des dons à revendre. Si une cliente veut gagner en sex-appeal, on appelle Bo. Si elle a besoin d’un trophée à son bras pour briller en société ou remporter un contrat, idem. Bo est un caméléon ; il peut être tout ce qu’une femme désire.

Ensuite, il y a Royce, le Money Maker. Tout ce qu’il touche se transforme en or. Il perçoit tout sous forme de chiffres, de mutations financières, d’actions en Bourse, de multinationales, comme il lirait l’alphabet. Grâce à Roy, nous sommes devenus riches très tôt et avons connu une belle consécration financière, moins de dix ans après notre sortie de la fac. Si une cliente a des problèmes d’argent, des doutes sur ses placements ou sur son modèle de gestion ? On envoie Roy.

Et moi ? Je suis un peu le mélange des deux. Cependant, je suis le seul à savoir parfaitement déchiffrer une femme. À deviner ce qui la fait chavirer, à déceler le véritable besoin qui se cache derrière ses requêtes. Parfois, des femmes font appel à nos services de love-coach, seulement elles sont déjà intéressées par un homme et souhaitent simplement qu’il se passe quelque chose. Qu’il la remarque. Elles veulent attirer son regard. Elles n’ont quelquefois pas assez confiance en elles. Ou bien elles cherchent tout bêtement à se trouver un homme. Mon boulot, c’est d’aller au cœur de ce que les femmes veulent vraiment.

Quand Bo, Royce et moi avons lancé notre affaire après avoir obtenu nos diplômes à Harvard, nous avons chacun investi toutes nos économies. J’ai proposé le business plan, le concept et le thème. Nous nous sommes ensuite mis d’accord pour que j’aie un pour cent supplémentaire de part de la société. Trente-quatre pour cent pour moi au lieu des trente-trois pour cent qui leur reviennent à chacun. C’est donc moi le chef. J’établis le premier contact avec chaque cliente, je dirige les opérations au quotidien et voyage presque autant qu’eux. Au fil des années, notre activité est devenue une machine bien rodée. Il n’y a rien de mieux que d’être maître de son propre destin. Grâce à International Guy, nous accomplissons ce rêve.

*
*     *

Les lumières vert fluo sous les auvents du bar de mon père donnent au trottoir une étrange lueur. Je contourne le bâtiment en direction de l’entrée. Je lui ai souvent demandé de changer l’éclairage, mais il y a toujours été fermement opposé. Il dit que ça donne à l’endroit un côté mystérieux. Pourtant, Lucky’s n’a pas besoin de mystère. Ce bar existe depuis cinquante ans et attire une importante clientèle locale, toujours fidèle, qui va des hommes d’affaires en costume aux ouvriers du coin coiffés de la casquette des Red Sox. C’est ma deuxième maison depuis que je sais marcher. Mon père m’y emmenait chaque jour après l’école. Il me posait sur un tabouret et me parlait de la vie. C’est là que je faisais mes devoirs jusqu’à ce que ma mère sorte du travail.

Dès que j’ai pu mettre la main à la pâte, il m’a fait laver les verres, nettoyer les tables, balayer le trottoir et sortir les poubelles. Je n’ai jamais rechigné à aider, surtout qu’il me donnait un peu d’argent de poche que je dépensais avec des filles.

Après la famille, ce bar est ce qui compte le plus pour mon père. C’est donc le premier bien que j’ai acquis dès qu’International Guy a commencé à dégager des bénéfices. Le jour où j’ai eu assez d’argent pour acheter le Lucky’s et le mettre au nom de mon père restera l’un des plus beaux de ma vie. Je ne l’oublierai jamais. Mon père a toujours été un homme fier, mais il n’a jamais semblé aussi heureux que quand je lui ai donné l’acte de propriété, en bonne et due forme, dont il rêvait.

Il n’était pas fier de ce que je lui offrais mais de ce que j’avais accompli. J’avais terminé le lycée major de ma promotion et joueur de base-ball vedette, puis j’avais obtenu une bourse complète pour Harvard, décroché ma licence avec les félicitations du jury et lancé mon affaire. Enfin, j’avais pu être généreux. Envers mon père. Cet homme que j’admirerai éternellement. Il aurait pu refuser et m’envoyer paître, mais il a accepté ce qui lui était offert, avec honneur et amour. Mon père a fait de moi l’homme que je suis devenu.

C’est désormais toujours au Lucky’s que les gars et moi terminons nos missions, autour de pintes de bière fraîche et de cacahuètes, ou, les grands jours, de fish and chips et de grandes quantités de vodka. Tout dépend du jour et du contrat. Ce soir, je leur annonce que j’ai tiré le gros lot : la cliente la plus intéressante qu’on ait eue jusque-là. Ce boulot va nous faire gagner l’équivalent d’un mois de services en un seul contrat. Mais il y a un prix à payer : notre disponibilité devra être illimitée. Ce n’est pas quelque chose qu’on a l’habitude de proposer.

J’ai un frisson quand je tire sur la poignée en fer forgé de la lourde porte en bois du Lucky’s. C’est un mardi et il n’est que dix-neuf heures, mais le bar est déjà bondé. Je parcours la pièce des yeux, les poutres sombres, les banquettes avec leur haut dossier le long du mur, les cloisons de séparation des box à vitrail et la série de tables rondes au centre. Le soir, le bar de mon père propose quelques plats de pubs qui accompagnent parfaitement les bières ou encore un match des Red Sox ou des Patriots.

Mon père se trouve derrière le comptoir, il porte comme toujours une chemise à carreaux – cette fois elle est bleue – par-dessus un T-shirt blanc, un torchon posé sur l’épaule. Il lève la tête, un sourire aux lèvres. À cinquante-cinq ans, il a vraiment belle allure avec sa chevelure poivre et sel. Il m’adresse un sourire éclatant, celui qui fait revenir les clients et qui les encourage à écouter ses conseils. Il n’est pas rare qu’un barman serve de psy. Souvent, mon père plaisante en disant qu’il s’est trompé de métier.

Je lui fais un signe de la main et me dirige vers notre table habituelle, au fond de la salle. Depuis que mon père possède le bar, il réserve toujours une table à la famille. C’est là qu’il prend sa pause ou que ma mère vient lire quand elle veut être avec lui sans être dans ses pattes. C’est là aussi que nous décompressons, mes « frères d’autres mères » et moi, après une longue semaine ou une mission difficile.

– Salut, Park. Ça roule, frangin ? lance Bo à mon arrivée.

Il porte sa fameuse veste en cuir noir sur un T-shirt moulant, un jean sombre et des bottes de moto.

– Impeccable.

Royce se lève et sa peau sombre brille dans la lumière. Il avance la main et je distingue un bouton de manchette en onyx noir qui dépasse de la manche de son costume sur-mesure.

– Salut, frérot, dit-il avec un grand sourire.

Je lui serre la main puis je lui tapote le dos, en guise de salutation.

À peine suis-je assis que mon père vient poser une pinte devant moi.

– Sculpin IPA, de Ballast Point, vers San Diego. Je fais venir des nouveautés pour vous, les gars. Ce n’est pas une bière locale mais, si tu veux mon avis, elle n’est pas mal du tout. Tu me diras ce que tu en penses.

– Compte sur moi. Merci, papa.

– Avec plaisir. Je vous sers un autre verre, les mecs ?

– C’est bon pour moi, dit Bo, le verre à moitié plein.

– Je veux bien un autre whisky sec, Monsieur, répond Roy.

Mon père opine du chef et s’éloigne vers d’autres tables.

– Alors, qui est cette cliente top secret dont tu voulais nous parler ? demande Bo, sans détour.

J’avale une gorgée de bière glacée, prenant le temps de savourer les arômes d’agrumes qui envahissent mon palais, avant d’humecter mes lèvres et de pousser un soupir. Je sens que je relâche la pression de la journée, réconforté d’être à la maison.

– J’ai reçu l’appel d’une héritière aujourd’hui.

Bo fait tourner sa bouteille.

– Quoi ?

– Sophie Rolland m’a appelé.

Royce laisse échapper un sifflement.

– Mince alors. La fameuse Sophie Rolland ?

Je hoche la tête et reprends une gorgée d’IPA bien fraîche.

– Mais c’est qui, cette Sophie Rolland ? demande Bo d’un air renfrogné.

Bo a un côté sévère qui fait craquer les filles mais qui peut aussi être fatigant pour les autres, surtout quand il n’est pas dans le coup.

Royce fronce un fin sourcil noir et se tourne vers notre associé.

– Sophie Rolland est l’héritière du groupe Rolland, un empire du parfum. Ils détiennent la plus grande firme française. Aux dernières nouvelles, sa fortune est estimée à des millions de dollars. J’aurais besoin de faire quelques recherches pour connaître les chiffres exacts.

– En quoi ça nous concerne ? lance Bo.

– Le père est mort brutalement d’une crise cardiaque, dis-je tranquillement.

Comme je ne le connaissais pas, la nouvelle ne m’a pas vraiment affligé.

– Ah bon ? Nom de Dieu… s’exclame Royce en écarquillant les yeux et en levant son whisky en l’air avant de lancer un « Salud ! » et de vider son verre d’un trait.

Je le reconnais bien là.

– Comme tu dis.

– Qu’est-ce que j’ai raté ? Ça vous dérangerait de me mettre au parfum ? râle Bo, visiblement agacé par notre petit jeu.

– Sophie Rolland est la nouvelle patronne du groupe.

Je sirote ma bière en attendant que ça fasse tilt.

– Et elle ne sait absolument pas faire la différence entre un parfum, une fleur et ses fesses ? hasarde Bo.

Roy et moi éclatons de rire.

– Pas tout à fait. Apparemment, le parfum, c’est son truc. Elle a hérité du savoir-faire familial. En revanche, jouer son rôle de PDG, diriger une entreprise et être crédible… c’est un domaine qu’elle ne maîtrise pas très bien.

Je lève mon verre en direction de Roy, tout sourires.

– Je vois. Et qui d’autre que nous pour la préparer à prendre la tête du groupe ? lance Royce avec malice.

– Ah, là, je te suis, dit Bo en souriant.

Mon père apporte un verre à Royce et une bouteille à Bo, qui réfléchit déjà à la suite.

– Alors, cette IPA ?

– Très bonne. Rafraîchissante, vive. Je pense qu’elle va faire des adeptes.

Il frappe sur la table.

– C’est ce que je voulais entendre. Merci, fiston.

Il s’éloigne pour servir d’autres clients.

– C’est quoi la mise ? demande Bo.

La mise correspond à la somme d’argent initiale que propose une cliente pour nos services. Un premier chiffre que nous évaluons, puis augmentons si nécessaire. Celle de Sophie est déjà très élevée.

– Entre un quart et un demi-million de dollars, selon le temps où elle aura besoin de nous, dis-je l’air de rien, alors que j’ai une boule dans le ventre. Elle se charge aussi de tout le reste : billets d’avion, repas, consultants extérieurs, relooking, etc.

Le silence se fait dans le petit box ; on n’entend plus que nos respirations.

Royce, comme toujours, parle le premier.

– Tu penses envoyer qui ? Quel est le besoin ?

– Pour cette somme, on y va tous. Tu t’occuperas de ses finances et des informations relatives à son entreprise le moment venu. Bo utilisera ses talents pour sa garde-robe et son sex-appeal. Et moi, je tenterai de booster sa confiance en elle et son sens des affaires.

Bo tire sur les petits poils de son bouc. En ce moment, il a les cheveux courts sur les côtés et plus longs sur le dessus. Les miens, châtain clair, sont coupés en dégradés effilés que je structure avec un peu de gel. Les femmes me font toujours des compliments sur ma coiffure et j’aime quand elles s’y accrochent et l’empoignent pendant que je leur fais une gâterie.

Je reprends une gorgée en attendant l’avis de Bo. Il sort son téléphone et tape quelque chose. Il plisse les yeux et fait défiler des images sur son écran.

– Ouais, elle est jolie, mais quelconque. La plupart des photos datent de son adolescence. Elle aurait vingt-quatre ans, elle vient de terminer ses études.

– Non seulement elle vient de perdre le seul parent qui l’a élevée mais, en plus, elle doit reprendre une entreprise.

Par-dessus son épaule, je jette un coup d’œil aux photos de notre cliente. Grande et mince, elle se tient à côté de son père à l’occasion d’une conférence de presse. Elle est vêtue d’une robe noire, elle ne porte pas de maquillage et ses cheveux lisses sont séparés par une raie au milieu. Sous cette apparence banale se cache un véritable canon, j’en suis certain. Vu la façon dont Bo incline la tête en l’évaluant, comme il le fait avec les modèles qu’il photographie, je suis certain qu’il a le même ressenti. Ensemble, nous trouverons le moyen de révéler sa beauté.

– Elle pourrait se contenter de passer le relais au directeur financier, dit Royce en tapotant le haut de son verre avec son index.

– Oui, mais au téléphone, j’ai senti qu’elle avait toujours eu l’intention de reprendre l’affaire familiale et qu’elle compte désormais montrer au monde ce qu’elle vaut. C’est la cliente parfaite : de l’argent qui coule à flots, une beauté cachée sous des fringues ternes et une entreprise extrêmement performante. Elle a juste besoin d’un coup de pouce de notre part pour atteindre son objectif.

Je pose mon poing au milieu de la table.

– Qu’est-ce que vous en dites ? On s’attaque à Paris ou pas ?

– C’est là qu’on va ? demande Royce.

– Ouais, dis-je en souriant.

Bo lève son poing et touche le mien.

– Pour une somme pareille, on s’attaque à tout, lâche-t-il en riant.

– Pourquoi pas ? Ça fait un moment que j’ai envie d’une Porsche 911 cabriolet. Grâce à cette mission je pourrai m’offrir ma petite chérie métallisée, dit-il en embrassant son poing.

Je lève les yeux au ciel et Bo pousse un grognement.

– Toi et tes bagnoles… Bon, lève le poing si t’en es.

Royce lève la main, et nos trois poings s’entrechoquent.

– À Paris ! je lance.

– À Paris ! répondent-ils en chœur.

*
*     *

Paris est magnifique au printemps. Et ce n’est pas un cliché. Les cerisiers du Japon sont en fleurs, la Seine grouille de bateaux et, partout, les femmes portent des robes ou des jupes. C’est ce que je préfère, voir des jambes libérées des pantalons de l’hiver, un buffet à volonté de peaux soyeuses que je m’imagine embrasser et caresser.

– Regardez, la tour Eiffel ! s’extasie Bo en la montrant du doigt à travers la fenêtre de la limousine qui nous a récupérés à notre hôtel.

Sophie Rolland n’a pas lésiné sur les moyens. Sa société nous loge dans un hôtel cinq étoiles, nous disposons chacun d’une suite luxueuse, avec minibar approvisionné et cuisine équipée pour un séjour prolongé. Un tel niveau de service va rendre le retour difficile pour Bo. Nous sommes tous les trois célibataires par nature, mais Bo l’est à un tout autre niveau. Moi, j’aime revenir à la maison, passer du temps dans mon appartement, traîner avec mon père et m’improviser un match de base-ball avec des contacts professionnels. À l’inverse, Bo pourrait voyager toute sa vie dans le monde sans foyer digne de ce nom. Il a un appartement dans le même complexe que le mien, mais il n’y vit que très rarement.

– Elle est plus petite que ce que je pensais.

Royce regarde par la fenêtre opposée tandis que j’observe le paysage par la vitre teintée du milieu.

– Je la trouve plutôt grande. Robuste. Solide. Exactement comme je l’imaginais. Les Français sont très forts pour les beaux monuments. Il n’y a qu’à voir notre Statue de la Liberté ou le Christ Rédempteur au Brésil.

– C’est eux qui ont fait le Christ de Rio ? demande Bo en fronçant les sourcils.

– Ouais, j’ai appris ça en cours de communication internationale. Attends… mais tu suivais le même cours !

Bo sourit avec malice.

– Je m’intéressais beaucoup plus à Melissa Thompson et au temps qu’il me faudrait pour finir dans son lit qu’à l’architecture.

Royce lève une main en s’esclaffant.

– Dommage, tu as perdu ton temps. Moi, je me la suis tapée en moins de deux semaines après le début des cours. Elle faisait d’ailleurs partie du Top Cinq des filles avec qui je couchais régulièrement en deuxième année.

Bo me fusille du regard.

– Merde, c’est donc pour ça que je n’ai jamais réussi à l’avoir ? Cette fille était l’une des seules à me résister. Mon amour-propre a souffert avec elle !

Il fait la moue. Je comprends pourquoi les femmes tombent sous son charme, moi-même je me sens obligé de lui rendre son sourire. Il reprend :

– Tu aurais pu me dire que tu couchais avec elle !

Je secoue la tête.

– C’était bien plus drôle de te voir échouer à la draguer pendant tout un semestre. Considère ça comme un cadeau de ma part. Celui de l’humilité, frangin.

Bo émet un son, à mi-chemin entre le grognement et la toux.

– L’humilité. Pfff.

La voiture s’arrête brusquement devant un grand bâtiment. Nous sortons et sommes accueillis par une petite femme brune au carré court et au sourire franc.

– Monsieur Ellis ? demande-t-elle en s’adressant à nous.

Je lève la main et m’avance vers elle.

– Bonjour*1.

Elle rougit en m’embrassant sur les joues.

– Je suis Stéphanie Martin, l’assistante de Mademoiselle Rolland. Je suis à votre disposition afin de satisfaire tous vos besoins au cours de votre séjour.

Je passe un bras autour de ses épaules en inclinant la tête.

– Tous nos besoins ? je demande en lui faisant un clin d’œil.

Ses joues ont viré au rouge vif. Je serre ses épaules, puis je lui présente les gars.

– Je vous présente Bogart Montgomery et Royce Sterling.

– Enchantée. Je vous prie de me suivre, Mademoiselle Rolland est impatiente de faire votre connaissance.

Elle nous conduit à un ascenseur vitré au sommet d’un escalier, puis nous atteignons le huitième étage et traversons une série de couloirs. Elle frappe à une porte qui doit avoir plus d’un demi-siècle. Le bois grince lorsqu’elle pousse le battant.

Nous la suivons dans un bureau étonnamment grand. Une brune timide termine un appel téléphonique, puis elle contourne son bureau pour venir à notre rencontre. Elle porte une robe fourreau noir simple qu’on croirait achetée dans un bazar sans avoir été essayée, et arbore une coupe de cheveux qui ne lui va pas. Tout à coup, son talon se prend dans le tapis persan et, d’un mouvement désordonné des bras, elle perd l’équilibre.

Avec des réflexes de félin, je la rattrape par la main et l’attire contre ma poitrine pour l’empêcher de tomber. Je passe un bras autour de sa taille fine pour la remettre sur pied.

Elle affiche une moue délicate et laisse échapper un soupir. Ses yeux couleur chocolat me fixent avec candeur à travers de longs cils incroyablement épais. Son menton arrondi se marie parfaitement avec son long nez fin. Sophie Rolland ne porte pas une seule couche de maquillage et, pourtant, elle a le teint hâlé. Ses longs cheveux bruns sont coiffés avec une raie au milieu, ce qui lui donne un style plat et peu séduisant. Mais tout homme qui la regarderait de près s’apercevrait que cette femme est un vrai diamant brut.

Je lui souris, passe ma main sur sa nuque, dans ses cheveux épais, et soulève son visage de mon pouce pour qu’elle me regarde. Elle détourne timidement le regard. Elle dégage un parfum surprenant et délicieux. En me penchant sur elle, j’effleure sa peau du bout du nez en inhalant profondément pour saisir l’essence de sa fragrance. Je souffle contre sa peau ; je veux que mon appétit pour son odeur intègre profondément son subconscient.

Les femmes ne doivent pas oublier qu’elles détiennent toujours, dans leur façon de s’habiller, de se maquiller ou de se coiffer, le pouvoir de captiver un homme. C’est l’odeur de Sophie Rolland qui me rend dingue. Ma bouche salive, mais je m’interdis de goûter à sa peau sucrée. Alors, je m’écarte. Elle pousse un soupir et cligne des yeux, comme si elle était étourdie.

Derrière moi, Royce se met à tousser et Bo se racle la gorge. Mais je ne me retourne pas et, surtout, je ne la laisse pas s’éloigner. Cette fille est importante et cet instant l’est d’autant plus. Il détermine le reste du temps que nous passerons ensemble. J’ai le sentiment que d’ici peu, Sophie et moi entretiendrons bien plus qu’une relation professionnelle. Je pourrais parier tout l’argent de mon compte en banque là-dessus. Sauf qu’en attendant, nous avons du pain sur la planche.

Je la retiens fermement et fais en sorte qu’elle sente mon corps contre le sien, puis je porte le coup final.

– Ma chérie*, vous êtes de toute évidence la femme la plus précieuse avec qui j’ai eu le plaisir de travailler. Je suis impatient de révéler le canon qui sommeille en vous.


CHAPITRE 2

Sophie fait un pas en arrière en se tordant les mains. J’esquisse un sourire en coin. D’autres zones de son corps sont peut-être encore plus moites que ses mains.

– Hum, merci. Je suppose que vous êtes Monsieur Ellis ? demande-t-elle en me faisant la bise puis elle ajoute : Et ces messieurs ?

Bo s’avance en bombant le torse. Plutôt que de lui serrer la main ou de lui faire la bise comme le font les Français, il se met à tourner autour de Sophie Rolland en se frottant le menton du bout des doigts et en l’évaluant du regard. Il examine son corps et ses vêtements avec l’expertise d’un photographe de talent. C’est un véritable artiste, dans son atelier comme ailleurs.

– Jambes longues et élégantes. Chaussures merdiques.

Son visage se tord et affiche une expression de dégoût.

– La robe a au moins deux tailles de trop. Je dirais que vous faites plutôt un six qu’un huit. Je me trompe ? demande-t-il avec nonchalance, en continuant de lui tourner autour.

Je vois les rouages de son cerveau qui s’activent à la recherche de la beauté cachée de Sophie. Il réfléchit à la manière dont il pourrait saisir cette beauté avec son appareil photo. Sophie fronce les sourcils.

– Je ne comprends pas de quoi vous parlez.

Sans doute parce qu’il a évoqué les tailles américaines et qu’elle ne porte que des tailles européennes. Bo ne lui répond pas, il se focalise sur son corps.

– De beaux cheveux, mais un dégradé ne serait pas de trop, peut-être même quelques mèches blondes pour leur donner plus d’éclat. Maquillage obligatoire. Vous ne vous maquillez jamais ?

Il s’arrête devant elle, prend son visage dans ses mains puis effleure ses joues, l’une après l’autre. Elle tremble à son contact. Pas étonnant. Bo fait toujours cet effet-là aux femmes.

Il poursuit.

– Superbe peau. Belle structure osseuse. Je connais des femmes qui tueraient pour avoir une si jolie peau de bébé. Une épilation des sourcils ne ferait pas de mal. Vous vous épilez ailleurs ?

Elle écarquille les yeux, fait quelques pas en arrière en trébuchant si bien que ses fesses atterrissent sur le bureau.

– Mon Dieu*, lâche-t-elle, une main sur le cœur.

Je me rapproche et m’assieds tout près d’elle.

– Pas d’inquiétude à avoir, Sophie. N’oubliez pas que vous avez demandé un service complet. Bo, ici présent, est le spécialiste du look professionnel, mais toujours séduisant. Il modifiera votre garde-robe, vos cheveux, votre maquillage et tout ce qui lui paraîtra nécessaire. C’est un véritable maître en la matière. Grâce à lui, vous vous sentirez belle comme jamais.

– Vous pensez que j’ai besoin d’un relooking ?

Elle laisse glisser ses doigts délicats le long de son cou. Un geste discret et incroyablement sensuel dont elle n’a même pas conscience. Mon travail consiste justement à mettre ces aspects-là en évidence.

– Ça dépend. Vous voulez avoir la tête de l’emploi et ressembler à une PDG responsable et accomplie, ou vous préférez vous contenter de faire votre travail ? En affaires, on réussit en montrant l’exemple. Vos employés et vos contacts professionnels doivent vous percevoir comme quelqu’un de fort, sur qui compter. Mon équipe et moi pouvons en faire une réalité. En commençant par votre apparence physique. Ce que vous portez et dégagez au travail démontre à vos collègues que vous leur donnez suffisamment d’importance pour faire un effort. Une fois que vous aurez ces outils, on vous montrera comment vivre cette réalité… et devenir la personne que vous souhaitez être.

Elle hoche la tête.

– Que dois-je faire exactement ? Je ne sais pas vraiment comment ça marche. Quand je vous ai engagés, je percevais que j’avais besoin d’aide. Je me sentais perdue, peu sûre de la tâche à effectuer. Mais je n’ai aucune idée de ce dont j’ai besoin.

Son ton manque terriblement d’assurance. Ça me fend le cœur. Toute femme mérite de se sentir forte et à sa place.

– D’abord, laissez Bo s’occuper de votre apparence physique. Ensuite, Royce vous aidera à affirmer votre présence aux réunions du conseil et à surmonter tous les problèmes de l’entreprise. Il rencontrera votre équipe pour mieux comprendre la dynamique des opérations internes du groupe. La dernière chose dont on a besoin quand on reprend la tête d’une société, c’est une mutinerie en interne. Vos employés et, surtout, les membres de votre conseil d’administration vont exiger d’être rassurés sur la façon dont vous comptez diriger le groupe. Ils devront vous faire confiance, non seulement dans votre capacité à maintenir la stabilité de l’entreprise mais aussi à changer les choses.

– Je m’occupe de tout, ma belle, lance Royce en lui adressant un geste du menton et en plongeant les mains dans ses poches.

Sophie inspire profondément avant de s’éclaircir la voix.

– J’ai peur de ne pas faire le poids. Mon père a fondé cette société et l’a dirigée tout seul pendant plus de trente ans. Je devais l’intégrer après la fac, occuper un poste de direction moins élevé et me former sur le terrain. Seulement, maintenant (elle secoue la tête), je ne suis pas sûre d’être prête.

– Vous voulez vraiment diriger cette entreprise ?

C’est la question à un demi-million de dollars puisque c’est la somme que recevra International Guy pour l’aider à mener à bien cet objectif.

Elle braque son regard sur moi. J’y lis de la tristesse mêlée d’une pointe d’espoir.

– Ça a toujours été mon rêve.

– Nous allons donc faire de ce rêve une réalité, étape par étape.

Le ventre de Sophie gargouille, et je me mets à rire puis je passe un bras autour de sa taille pour la pousser à se lever.

– D’abord, on va aller déjeuner. Ensuite, Royce rencontrera votre directeur financier et votre directeur général pendant que nous irons avec Bo vous refaire une garde-robe.

Elle humecte ses jolies lèvres roses, ce qui réveille aussitôt mon bas-ventre. Je durcis rien qu’en apercevant sa langue. Cette femme cache beaucoup plus de choses que ce qu’elle donne à voir. Je n’arrêterai pas tant que je n’aurai pas fait éclater sa carapace ennuyeuse et insipide.

– Et vous, que ferez-vous ?

Son parfum décadent, sucré et épicé prend possession de mes sens tandis qu’elle s’approche de moi.

Je lui adresse un sourire malicieux, puis je lui prends la main et entrelace nos doigts.

– Tout du long, je vous tiendrai la main, ma chérie*…

*
*     *

Après le repas, nous nous rendons directement avenue Montaigne où, d’après mes recherches, se trouvent tous les grands créateurs de luxe : Gucci, Christian Dior, entre autres, et mon préféré… Jimmy Choo.

Je tiens la porte à Sophie et à Bo.

– On commence par les chaussures ?

L’accent français de Sophie ajoute une dimension sexuelle à tout ce qu’elle prononce. Je pourrais l’écouter parler pendant des heures.

Je passe mon bras autour de ses épaules et parcours les présentoirs des yeux, jusqu’à ce que je trouve exactement ce que je cherche : une paire absolument canon d’escarpins rouges de dix centimètres. Des chaussures à talons aux lignes fines, dotées d’un bout pointu classique et d’une lanière de cuir qui vient couvrir gracieusement la cheville avec un joli nœud sur le cou-de-pied.

– Une chose est sûre avec les femmes : le premier pas vers le changement se fait toujours avec une belle paire de chaussures.

Elle observe pensivement la paire.

– C’est très joli, mais pas pratique au bureau.

Je souris.

– C’est vrai. Mais c’est justement ce qu’il nous faut.

Je me rapproche d’elle, appuyant ma poitrine contre la sienne, et je lui murmure à l’oreille :

– Imaginez un peu que chaque homme que vous croisez vous désire et que chaque femme souhaite devenir comme vous ? Voilà ce qu’International Guy va réaliser pour vous.

J’effleure son menton, elle frissonne.

– Hum, je vais les essayer, dit-elle en clignant innocemment des yeux et en se mordillant les lèvres.

Pas de doute, elle commence à ressentir l’alchimie qui s’installe entre nous. Ce n’est qu’une question de temps. Je l’ai su dès que je l’ai entendue parler. J’ai su tout de suite que j'avais envie que sa voix sensuelle me murmure à l’oreille des cochonneries en français. Bientôt, elle me mangera dans la main et plantera les pointes de ses chaussures sexy dans la peau tendre de mes fesses. Sauf que c’est une cliente. Nous ne nous interdisons pas de mélanger le plaisir et le travail, loin s’en faut. Mais nous n’avons encore jamais risqué autant d’argent en un seul contrat. Il ne serait vraiment pas raisonnable d’aller dans cette direction avec elle.

Je remets en place mon membre grandissant, le contraignant un peu plus. À mon grand désarroi, cela fait des semaines qu’il ne s’est pas amusé. Dernièrement, le travail m’a laissé peu de temps libre et je n’ai pas pu enchaîner les rencontres.

– Quelle pointure faites-vous, ma chérie* ?

Je m’éclaircis la voix et remets de l’ordre dans ma veste de costume, boutonnant le devant pour cacher les preuves de mon excitation.

– Je fais du trente-huit, donc sept en taille US.

– Le sept est un chiffre porte-bonheur, dis-je en lui faisant un clin d’œil, puis je désigne la chaussure à six cent trente euros à la vendeuse. Il nous faut cette paire en trente-huit, s’il vous plaît*.

Sophie saisit la chaussure, elle la tourne et la retourne comme si elle n’avait jamais rien vu de tel.

– Ce modèle s’appelle Vanessa. C’est joli, comme la chaussure, remarque-t-elle.

– Logique. Quand vous la porterez, vous aurez la sensation d’être quelqu’un d’autre.

Elle rougit et s’assoit pendant que la vendeuse lui apporte sa taille.

– On va aussi prendre ces cinq paires en trente-huit, ma jolie, dit Bo en tendant une sélection d’escarpins à la vendeuse qui se pavane devant lui.

Je me retourne vers la douce Sophie. Je m’accroupis pour l’aider à les enfiler et je lui offre ensuite ma main pour la conduire devant le miroir, en me plaçant dans son dos. Le menton sur son épaule, je chuchote à son oreille :

– Qu’est-ce que vos jambes sont longues !

Sophie fait pivoter son pied devant le miroir afin d’examiner la chaussure de chaque côté. Pendant que je la regarde, elle se redresse, allonge le cou. La femme docile et timide rencontrée plus tôt s’est effacée pour laisser place à une femme forte et incroyablement séduisante.

Je pose ma main sur sa taille délicate et mes lèvres effleurent son oreille.

– Rien de tel qu’une belle paire d’escarpins pour se sentir sexy.

En voyant Sophie s’épanouir devant mes yeux, je n’en ai jamais été aussi sûr. Les femmes et les chaussures. Adam et Ève. Le yin et le yang. C’est du pareil au même.

– J’adore, dit-elle avec un grand sourire qui ferait craquer n’importe quel homme. Et maintenant ?

Elle se retourne, radieuse.

– On va s’occuper de la garde-robe, dit Bo en remuant les sourcils tandis que la vendeuse apporte les autres chaussures à essayer.

Sophie finit par les acheter toutes, à l’exception d’une paire. Son chauffeur place les sacs dans le coffre pendant que je tiens la porte de la limousine pour Sophie et Bo.

– Quelle est la prochaine destination, Monsieur Ellis ? demande le chauffeur.

– Christian Dior, je vous prie.

Je me glisse dans la voiture à côté de Sophie qui porte ses nouveaux talons rouges. Elle a croisé les jambes qui, chaussées de ces escarpins, paraissent interminables. Vraiment distrayante, toute cette peau douce exposée. Je regarde alors le paysage à travers la vitre pendant que Bo drague notre nouvelle cliente.

Cliente.

Cliente.

C’est une cliente. Pas la prochaine femme à réchauffer mon lit. Mais ce serait mentir que de ne pas reconnaître que ses jambes et la façon dont elles pourraient servir au plumard m’obsèdent.

Autour de ma taille.

Bien écartées.

En l’air.

Un tas de positions différentes que j’aimerais pratiquer avec Sophie Rolland occupent mon esprit. J’ai besoin de m’envoyer en l’air. De préférence avec une Française qui aurait un penchant pour les mots cochons.

La voiture s’arrête et je me précipite à l’extérieur, comme si elle avait pris feu.

Bo me suit, puis il tend la main à Sophie pour l’aider à sortir de la voiture.

Notre cliente.

Je vais devoir me le répéter jusqu’à ce que mon esprit l’intègre complètement. Lors des missions précédentes, je n’ai jamais ressenti ce désir insatiable de pénétrer une cliente pour qu’elle crie mon nom avec un irrésistible accent français. Mais Sophie a quelque chose qui réveille ma libido, et il faut absolument que je me contrôle.

Bo emmène notre cliente dans la boutique. Il porte un jean simple, un T-shirt moulant et son éternelle veste en cuir, une tenue qui est loin de laisser présager son talent pour dénicher des fringues. Pourtant, les vêtements c’est son domaine. Il aime raconter en plaisantant que c’est à force de déshabiller d’innombrables femmes qu’il a appris et qu’il excelle désormais à les habiller. En tout cas, il sait parfaitement faire d’un simple pissenlit une rose.

– On va commencer par les robes, les jupes et les pantalons pour le travail.

Il fait asseoir Sophie, puis il se met à discuter avec la vendeuse. Sophie croise les mains en se mordillant les lèvres.

Je m’assois à côté d’elle et je prends une de ses mains entre les miennes. Elle sursaute, mais elle finit par se détendre en s’adossant à sa chaise, sa nervosité se dissipe visiblement à mon contact. J’aime cette réaction plus que je ne veux le laisser paraître, mais je la mets de côté dans ma tête afin d’y réfléchir plus tard. Pour l’instant, je veux être celui qui la rassure pendant qu’on chamboule son monde.

– Vous me faites confiance, Sophie ?

– Je vous connais à peine.

Maligne. Je serre sa main un peu plus fort.

– Et pourtant, vous êtes là, dans une boutique de vêtements, vous vous agrippez à ma main comme si j’étais votre sauveur et vous ne fuyez pas…

Elle s’humecte les lèvres, regarde ses chaussures puis elle pose les yeux sur moi.

– … Fiez-vous à votre intuition, Sophie. Vous m’avez engagé. Nous sommes là. Tout va changer… en mieux. Ce moment est à vous, ma chérie*. Il est grand temps de briller, de prouver au monde ce que vous valez.

Sophie respire lentement, puis elle hoche la tête.

– Je vous fais confiance, Parker.

Je souris en lui tapotant la main.

– C’est bien, Sophie, très bien. Je vais vous apprendre un tas de choses sur vous, des choses en vous que vous n’avez jamais soupçonnées.

– Comment ?

Sa voix tremble. J’ai envie de la prendre dans mes bras, de la serrer contre moi et de lui garantir le bonheur du corps et de l’esprit.

Je me tourne vers elle et saisis une mèche de ses cheveux entre mes doigts avant de la passer derrière son oreille pour dégager son visage.

– Je vais révéler vos différentes facettes, l’une après l’autre. D’abord la business woman casse-pieds, puis la femme sensuelle et rusée.

Elle rit en levant une main pour la plaquer sur sa bouche, mais je l’intercepte juste à temps.

– Ne dissimulez jamais votre sourire et retenez bien ce que je vous dis. Quand j’en aurai terminé avec vous, les hommes se jetteront à vos pieds pour que naisse ce sourire sur votre superbe visage.

Elle devient toute rouge et détourne timidement le regard. Ce que j’aime les femmes timides ! Le challenge est plus grand et ce sera encore plus divertissant de découvrir les autres facettes de sa personnalité.

Bo et la vendeuse reviennent.

– La cabine d’essayage est prête.

Il désigne du doigt le fond de la boutique.

– On te suit.

Je tends le bras et prends la main de Sophie, chaude et agréable, dans la mienne.

En avançant vers la cabine, elle se penche vers moi.

– J’ai hâte de voir ce qu’il a choisi.

– Moi aussi, dis-je en souriant.

Bo saisit son autre main et l’attire à l’intérieur de la cabine. Je parcours la zone d’essayage des yeux pendant qu’il lui montre les premiers ensembles à enfiler et lui indique comment les combiner. Je secoue la tête et reviens sur mes pas pour aller voir le rayon des tailleurs de bureau. Au-dessus du portant des vestes s’affiche l’image d’un ange. Un ange foutrement sexy. Blonde. Des courbes à n’en plus finir. Du sexe en tailleur. Ma queue se réveille à nouveau devant l’égérie de la campagne de pub pour les tailleurs Dior : Skyler Paige. J’ai toujours craqué pour elle.

Je ne peux m’empêcher de fixer les ondulations blondes qui retombent sur ses épaules, un total contraste avec sa veste bleu nuit. Ses jambes interminables portent un pantalon fuselé laissant entrevoir des chevilles délicates que j’adorerais mordiller et embrasser. Si j’avais une femme comme Skyler au lit, je l’allumerais pendant des jours, je la ferais gémir d’une multitude de façons avant de lui donner ce qu’elle veut.

Mince alors.

Je décide de chasser de mon esprit ces pensées lubriques sur la fille de mes rêves et de revenir à mes moutons. Je repenserai à Skylar une autre fois, pour une séance érotique à une main. Je me remémorerai cette image afin d’agrémenter mon fantasme de la secrétaire sexy que je prends sur mon bureau pour lui accorder une grosse augmentation.

Riant de mes sottises, je trouve un élégant pantalon cigarette noir et une veste assortie ornée d’un large col de satin noir et d’un seul bouton. Parfait pour Sophie.

Je me retourne et aperçois la vendeuse qui a assisté Bo.

– Puis-je avoir ces deux articles dans la bonne taille ?

– Oui, bien sûr.

Elle saisit l’ensemble et je la suis vers la cabine d’essayage. C’est à ce moment-là que Sophie tire le rideau. Elle porte une jupe droite en cuir noir et un chemisier blanc en soie. Avec ses talons rouges, on dirait une bad girl, prête à en découdre. J’applaudis.

– C’est parfait.

Bo tourne autour de Sophie, la main sur le menton.

– On pourrait reprendre la couture ici, dit-il les mains sur les hanches, ça mettrait encore plus en valeur vos jolies fesses.

Sophie rougit comme une tomate.

J’esquisse alors une grimace.

– Elle est très bien comme ça.

J’ai la voix rauque, comme au réveil. Bo recule et laisse échapper un soupir, me jaugeant du regard. Il finit par se rapprocher de moi pour me dire à voix basse :

– Je suis sûr que tu es d’accord avec moi. Tu n’as pas quitté ses fesses et ses jambes des yeux depuis qu’on l’a rencontrée. Tu te la réserves, ou quoi ?

Est-ce le cas ?

Mes poils se hérissent et ma peau moite me démange.

– Contente-toi de faire ton boulot. Et bas les pattes ! je siffle entre mes dents.

Il recule dans un signe d’impuissance, puis il pivote et retourne auprès de notre cliente.

– Cette tenue vous va bien. Qu’en pensez-vous, ma jolie ?

Elle laisse courir ses mains le long de ses hanches et je sens une réaction du côté de mon entrejambe.

– Ça change, mais j’aime bien.

Elle ondule le bassin d’un côté puis de l’autre pour s’habituer au tissu.

– Passons aux robes, propose Bo.

– Non ! je m’exclame.

Le mot est lâché, sans appel. Je m’éclaircis la voix.

– Essayez plutôt ce tailleur.

Bo fait la moue, puis il désigne la cabine d’essayage.

– C’est toi le chef, Parker. Sophie, à vous l’honneur.

Elle disparaît dans la cabine. Dès que la porte se referme, Bo en profite pour me prendre la tête.

– Tu fais n’importe quoi, mon pote.

Il pose un doigt sur mon torse, que je rejette d’une claque.

– Absolument pas. Je maîtrise la situation.

Il lâche un petit rire.

– Non, cette Française te fait perdre la tête.

– Va te faire foutre ! dis-je en le fusillant du regard.

– Je ne fais que remarquer ce que je vois, lâche-t-il d’un ton désinvolte.

– Eh bien, tu te plantes.

Je redresse les épaules en m’assurant que ma veste est bien fermée pour cacher tout signe d’érection. L’image de ses fesses moulées dans le cuir, de ses jambes interminables et de ses talons rouges a aussitôt suscité chez moi un début d’érection.

– Non, loin de là. Mais c’est toi qui mènes le jeu, dit-il avec un claquement de langue. En tout cas, si tu fricotes avec une cliente… c’est ton problème, mec !

– Comme si tu ne l’avais jamais fait, j’ajoute, la mâchoire serrée.

Je viens de trahir mon désir. Bo croise ses bras puissants.

– Justement. Je l’ai souvent fait. Mais ce n’était jamais une bonne idée vu que chaque fois, je ne pensais qu’avec ma bite.

– Et avec quoi tu penses, en temps normal ?

Bo secoue la tête puis, en s’éloignant vers la cabine où se trouve Sophie, il lâche sans se retourner :

– Je t’aurai prévenu.


CHAPITRE 3

La voiture est pleine de sacs Dior, Gucci, Prada et Valentino, et il reste encore quelques arrêts. Sophie bâille, appuyée contre moi à l’arrière de la limousine.

– Fatiguée, ma chérie* ? Préférez-vous reprendre demain, plus reposée ?

Elle secoue la tête.

– Non, mais un verre de bulles serait le bienvenu, répond-elle en montrant le minibar.

Je souris et claque dans mes mains.

– C’est justement ma spécialité.

Je sors une bouteille de champagne du petit frigo et inspecte l’étiquette comme si je savais lire le français. En réalité, je ne connais que quelques mots.

Sophie pousse des gloussements, une jambe repliée sous l’autre, jouant avec le talon de sa chaussure. Je meurs d’envie de saisir cette jambe, d’effleurer sa peau soyeuse avec mes dents et de mordre ses cuisses fermes. J’ai pu les apercevoir quand Bo lui a fait essayer des robes fourreaux Gucci très moulantes, pour le travail. S’il considère ce type de robe parfaitement adapté au cadre professionnel, je serai totalement foutu quand je la verrai dans l’une des vingt robes de soirée qu’il a choisies avec elle.

Parcouru d’un frisson, je chasse ces pensées. Mieux vaut ne pas s’y aventurer. Je fais sauter le bouchon et verse une coupe à chacun.

Dès la première gorgée, Sophie laisse échapper un râle grave.

– Merde, je lâche dans un souffle.

Je croise les jambes pour couper court au désir qui serpente dans ma poitrine en direction de mon bas-ventre.

Cette journée a été rythmée par de la torture pure et dure. J’ai besoin d’une douche chaude et d’un long moment en compagnie de ma main droite, ou peut-être de faire un tour au bar du coin pour me dégoter une femme disposée à réchauffer mon lit d’hôtel pour la nuit. Il y a forcément pas loin un endroit idéal pour draguer. Bo doit le savoir. Je lui demanderai plus tard, en douce. Avec la quantité de nanas, comme il dit, qui se succèdent dans son lit, il a dû déjà trouver le meilleur lieu de drague de Paris. Bien sûr, il suffirait que je convoque l’image de la bombe Skyler Paige dans son irrésistible ensemble d’executive woman. Mais c’est une très mauvaise idée de penser à Skylar, même une fraction de seconde. Ma queue a un radar pour ce type de rêverie. Après les jambes de Sophie et la photo de ma star préférée… je suis foutu. J’attrape un glaçon dans le frigo et le passe sur ma nuque pour anéantir ces envies qui me prennent au corps.

Sophie termine sa coupe au moment où la limousine s’arrête devant les célèbres Galeries Lafayette du boulevard Haussmann. D’après Google, c’est l’un des plus grands magasins de Paris.

Cette fois, le chauffeur vient nous ouvrir la porte. Bo et moi terminons notre champagne d’un trait et il lance un rot de magnitude 10 avant de se frapper la poitrine.

– Ah, ça va mieux !

Je me dépêche de sortir du véhicule.

– Je vous conseille d’aérer l’arrière, je chuchote à François en lançant un regard noir à mon ami.

– Quoi ? demande-t-il, l’air parfaitement innocent.

Je secoue la tête et saisis la main de Sophie.

– Préparez-vous, murmure Sophie.

Je grimace.

– À quoi ?

– Ce magasin est immense. On pourrait s’y perdre.

Bo pousse la porte des Galeries et je comprends alors la mise en garde de Sophie. C’est comme si nous avions pénétré dans un autre monde. Un monde d’opulence où tout ce qui brille règne en maître. Je m’arrête au centre du magasin et regarde en l’air. Impossible d’y échapper. Je découvre la célèbre coupole entièrement composée de vitraux colorés, et une enfilade de balcons sur plusieurs étages qui permettent de distinguer les différentes marchandises exposées. Tandis que je contemple les lieux, Bo continue d’avancer.

– Wouah ! je m’écrie en m’accrochant au bras de Sophie pour ne pas perdre l’équilibre.

Il m’arrive la même chose quand je rentre dans une église catholique, devant tant de magnificence et d’excès. Le style Art nouveau de l’édifice fait la part belle aux détails. Je peine à me souvenir de la dernière fois que j’ai été en présence d’un lieu aussi impressionnant. L’émerveillement est plus fort que tout, j’ai l’impression de ne jamais pouvoir oublier ce que je vois. C’est incroyable. Du jamais-vu.

– Magnifique, n’est-ce pas* ? dit Sophie en français, et là je ne peux pas résister…

Un élan instantané. Dingue. Et direct.

Mon corps s’enflamme. Excitation, sexe et désir me montent au cerveau et, contre toute attente, je prends ses joues dans mes mains tandis qu’elle contemple, les yeux levés, le magnifique dôme de verre. Dès que mes mains touchent ses joues, je fonce. Aucune réflexion, seulement de l’action.

J’oublie les conséquences et presse mes lèvres contre les siennes.

Je l’embrasse malgré sa surprise.

Je l’embrasse pour ne plus penser.

Je l’embrasse malgré mes résolutions.

Je l’embrasse, tout simplement. Longtemps. Si longtemps que son corps réagit, ses bras serrent mon dos, ses doigts labourent mes omoplates à travers ma veste. Je m’en moque. Rien n’a plus d’importance. Seul compte cet instant avec cette fille sublime. Sa bouche s’entrouvre et j’y plonge ma langue, effleurant la sienne. Elle a le goût du champagne et son parfum est divin, une odeur sucrée et épicée qui m’enveloppe, qui me pousse à prendre plus, à fouiller plus loin. Sophie halète et s’accroche à moi, pesant de tout son poids contre ma poitrine, comme si elle se donnait tout entière à ce seul baiser.

Je m’écarte à regret, en mordillant ses lèvres délicieuses. Je la remets sur ses pieds ; ses yeux sont toujours fermés, sa bouche à peine ouverte. Je caresse ses joues du bout des doigts.

– Réveille-toi, ma chérie*.

Je ris et elle finit par cligner des yeux, comme si je l’avais tirée d’un rêve.

– L’ivresse du baiser. (Je pose ma main sur son menton et caresse du pouce ses lèvres enflées.) Ça va aller ?

Elle acquiesce en silence.

Je ne peux m’empêcher de rire à nouveau.

– Désolé, je me suis laissé emporter, dis-je. Pour accompagner une vue aussi spectaculaire que celle-ci, il fallait absolument un baiser. Un premier baiser est toujours inoubliable. Tu ne crois pas ?

Sophie rougit.

– Oui, merci*. Ça restera de toute évidence un bon souvenir.

– C’est bien ce que je disais, j’ajoute en posant un bras sur ses épaules. Je suis sûr que Bo est au rayon des jeans.

Elle fronce les sourcils.

– Je n’en porte pas souvent.

– So, fais-moi confiance. Il faut cinq incontournables pour permettre à une femme de se sentir sexy.

– So ? demande-t-elle, surprise par le surnom que je viens de lui donner.

Je n’avais pas prévu de me sentir autant en phase avec cette fille. Je suis bien à ses côtés. Suffisamment bien, en tout cas, pour lui donner un petit nom et l’embrasser au milieu d’un grand magasin. Ce n’est pas dans mes habitudes.

Je m’en voudrai plus tard pour le baiser, mais pas pour le surnom. « So » lui va très bien.

– Écoute-moi, dis-je en guise de réprimande, ignorant sa question. Cinq incontournables te rendront sexy.

– Éclaire-moi, Parker. Je suis toute disposée à apprendre.

Disposée est le mot clé, mais je refoule cette pensée. Il faut se mettre au travail.

– Depuis ce matin, tu as déjà fait l'acquisition de deux de ces incontournables.

– Les chaussures ?

Je claque des doigts.

– Exact. Une belle paire d’escarpins. Ne me dis pas que tu ne te sens pas plus sexy dans ces chaussures ? Tu ne les as pas quittées des yeux de la journée.

– Toi non plus, dit-elle en haussant les sourcils.

Je me mordille les lèvres, réprimant à nouveau l’envie de l’embrasser. Cette petite diablesse cache bien son jeu.

– Je ne peux pas dire le contraire. Tu es terriblement sexy. Mais ce que je veux savoir, c’est si toi, tu te sens sexy ?

Elle fait une moue en continuant à avancer. Nous empruntons un escalator qui monte au deuxième étage.

– Oui*.

– Bien. Sache que l’autre article infaillible pour qu’une femme se sente belle, c’est la LBD ou le tailleur noir.

Sophie fronce les sourcils.

– La LBD ?

J’oublie trop vite la barrière de la langue !

– La petite robe noire. Little Black Dress, comme on dit chez nous.

Elle hoche la tête.

– Dans ton cas, je poursuis, c’est un tailleur-pantalon noir. Une tenue qui te donnera de l’assurance, cachera toutes tes incertitudes quand tu affronteras les actionnaires de ton père. Enfin, tes actionnaires.

– J’ai bien aimé le tailleur, c’est vrai.

Pour quatre mille euros, qui ne l’aimerait pas ? Bien sûr, je garde cette remarque pour moi. Sophie est pleine aux as et elle ne devrait pas avoir honte de l’argent que sa famille a durement gagné. Toujours est-il qu’un chiffre à trois zéros, c’est vraiment beaucoup pour un costume. Nécessaire dans le monde dans lequel elle est née, mais tout de même dur à avaler. Par le passé, nous avons déjà eu des clientes riches, mais aucune du calibre ou du pedigree de Sophie Rolland. Ce contrat est un gros coup pour International Guy Inc., et augure bien, je l’espère, de notre percée dans le milieu des affaires. À condition que je ne foire pas tout en embrassant notre cliente au milieu d’un grand magasin parisien.

Comme j’aime entretenir un contact physique avec elle, je lui prends la main. J’observe le rayon des jeans. Bo est déjà en train de sélectionner plusieurs pantalons. À l’aise comme un poisson dans l’eau.

J’espère qu’il s’était suffisamment avancé dans l'allée et qu’il n’a pas vu notre baiser.

– Sophie, je t’ai trouvé des jeans. Différents styles en fonction de tes chaussures et des événements : boot cut, slim, skinny et coupe large.

Il tend l’ensemble à Sophie et montre du doigt la cabine d’essayage.

– Merci, Bo, tu es vraiment doué pour ça.

– Ce n’est pas un hasard. Ma mère est créatrice de mode. Petit, j’ai su coudre un bouton sur un pantalon avant même de taper dans une balle de base-ball, répond-il en haussant les épaules. J’étais le seul garçon d’une mère célibataire dingue de mode, avec trois princesses pour sœurs. Que veux-tu ? C’est resté.

D’un clin d’œil, il lui fait signe d’aller se changer.

Dès que Sophie se trouve hors de portée, j’ai l’impression d’être de nouveau plongé dans les vestiaires du collège, à parler filles avec mes potes.

– Tu embrasses les clientes dans les grands magasins maintenant ? demande Bo en haussant les sourcils. Classe !

Mains sur les hanches, je fronce les sourcils. Je sais qu’il a raison. Ce n’est pas l’épisode dont je suis le plus fier. Au lieu de le contredire ou de lancer une réplique assassine pour me défendre, je capitule.

– Tais-toi…

Il rit, s’approche de moi et me tapote l’épaule en signe de soutien.

– Écoute, mec, si tu veux te la taper, fonce. Fais simplement attention à ne pas tout faire foirer pour nos affaires. Tu es doué, mon vieux ; arrange-toi pour que ça marche. OK ?

Je soupire en glissant mes doigts dans mes cheveux. Je me sens subitement épuisé. Nous avons passé sept heures dans un vol de nuit Boston-Paris, déposé nos sacs avant de partir aussitôt à la rencontre de notre cliente. Je crois que le décalage horaire se fait sentir.

– Merci, mec, je trouverai une solution.

Il remue ses sourcils bizarrement.

– Je n’en doute pas.

Il ondule son bassin d’un mouvement circulaire pour mimer l’acte sexuel et je lui balance une claque sur l’épaule dès que Sophie sort de la cabine, vêtue d’un jean 7 For All Mankind. Mon cœur s’arrête et je durcis sur-le-champ.

– Oh… Waouh.

Bo émet un sifflement et tourne autour de Sophie pendant que je contemple son joli derrière dans le jean le mieux ajusté du monde. Remercions les dieux de cette marque qui sait parfaitement habiller un corps de femme.

– Voici la coupe slim. C’est parfait, ma chérie. Les hommes vont tous tomber raides dingues de toi quand tu sortiras avec tes copines.

Elle rabat ses cheveux sur une épaule et me regarde à travers le miroir. J’ai les yeux rivés sur ses superbes fesses.

– Tu aimes* ?

– Oh que oui !

Je penche la tête d’un côté et contemple ses longues jambes. Le tissu moule ses fesses et épouse ses cuisses et ses mollets à la perfection. On ne pourrait pas espérer mieux. Impossible.

Sophie glousse, et mon cœur se met à battre plus vite.

J’avance jusqu’à elle. Posté derrière son dos, je m’accroche à ses hanches et presse mon érection contre ses fesses tendres. À côté des siens, mes cheveux châtains paraissent plus clairs que d’habitude. Le bleu vif de mes yeux se fait plus profond tandis que j’observe son joli corps. Je serre la mâchoire et me colle davantage contre elle.

Le souffle haletant, elle inspire profondément. Ses yeux bruns foncent encore et ses pupilles se dilatent. J’agrippe plus fermement son bassin afin qu’elle me sente en entier contre ses fesses.

– Je crois que tu sens à quel point j’aime te voir dans ce jean.

Je m’appuie encore un peu plus et elle laisse échapper le souffle qu’elle retenait, tout en humectant ses lèvres.

Merde. J’ai encore envie de l’embrasser.

Je ravale ma salive, les doigts serrés sur ses hanches, et j’essaie de reprendre notre conversation. Je place mes lèvres près de son oreille et je demeure ainsi, attendant que son regard croise le mien dans le miroir.

– Et maintenant, dis-moi, chère Sophie, tu te sens sexy dans ce jean ?

Elle frissonne dans mes bras.

– Voici le troisième incontournable, j’ajoute, un jean seconde peau qui montre tous tes atouts. Et celui-ci est absolument parfait…

Je pose mes mains sur ses fesses. Son corps s’arc-boute contre moi et elle avance la poitrine comme une offrande.

Si nous étions seuls à l’hôtel, mes mains iraient bien plus loin. L’une stimulerait son clitoris, l’autre un sein. Je baisserais son jean le long de ses longues jambes, la renverserais sur l’accoudoir du canapé, sur la coiffeuse, sur la table du petit déjeuner pour la prendre par-derrière, avec force. Je vois bien qu’elle y pense aussi. Elle soupire, s’appuie contre mon membre et se mord les lèvres.

– Parker, c’est si injuste de sentir ton beau corps ferme contre le mien et de ne voir que ton superbe visage, ta silhouette. J’ai du mal à respirer dès que je regarde ta mâchoire ciselée et ton sourire éblouissant, et quand tu te presses contre moi…

Elle secoue la tête, hébétée.

Oui, la douce Sophie évolue vite. Qu’elle admette à quel point elle en pince pour moi est une avancée décisive. Évidemment, je m’y attendais. C’est parce que mes parents m’ont donné d’excellents gènes que je suis aussi bon dans ce que je fais. Les femmes me disent très souvent que je suis séduisant. On peut dire ce qu’on veut, mais un beau visage, des muscles découpés que j’entretiens et le respect pour le sexe opposé mènent très loin dans la vie.

Je recule d’un pas mal assuré et elle trébuche vers l’avant.

– Je pense que ça suffit pour aujourd’hui. On reprendra demain après le rendez-vous avec Royce et ton équipe ?

Je cache mon entrejambe de mes mains, parce que j’ai perdu tout contrôle.

Sophie Rolland est charmante. Elle embrasse bien, elle a un corps élancé et bien dessiné. Je rêve de la baiser jusqu’à en perdre haleine.

De l’air.

Voilà ce dont on a besoin tous les deux, d’air et d’espace, pour que je puisse contrôler ma libido et faire mon boulot.

– Va te changer, ma belle, on t’attend, propose Bo.

Bo.

Une fois de plus, j’avais oublié qu’il était là. En voyant Sophie dans ce jean, en voyant ce corps qui n’attendait qu’à en être déshabillé, en me frottant contre son petit cul… j’ai perdu le contrôle. C’est la deuxième fois que je dérape en public.

Bo ajuste sa veste en cuir et glisse les mains dans ses poches.

– Toi, mon gars, tu es vraiment dingue. C’est quand la dernière fois que t’as couché avec une fille ?

– T’es sérieux ? je grogne.

– Plus sérieux, tu meurs. Tu as besoin de niquer, mec. Je ne t’ai pas vu collé comme ça à une fille depuis très longtemps. Sans doute depuis la période où tu étais dingue de Kayla McCormick. Quelle petite salope celle-là, lâche-t-il en faisant une grimace, comme s’il allait vomir.

– T’es vraiment en train de parler de mon ex ? Ça fait des années, Bo. Des années.

– Ouais, des années que je ne t’ai pas vu dingue d’une fille.

– Mais il ne se passe rien.

– Mais si ! Peut-être pas exactement comme avec Kayla, mais… Tu devrais te branler, mon vieux, si tu n’arrives pas à calmer la bête.

Mon corps entier est trop lourd, ses mots m’écrasent comme des haltères de deux tonnes.

– Ce dont j’ai besoin, c’est que tu la fermes. J’ai aussi besoin d’une IPA bien fraîche et d’un hamburger avec des frites. Et si tu t’en occupais pour que je puisse décompresser ?

Il rigole en sortant son téléphone de sa poche.

– Je m’en occupe, mec, pas de problème. Je vais te trouver tout ça, et peut-être même une nana.

– Non, pas de nana ! je m’écrie en renversant la tête en arrière et en passant les mains dans mes cheveux.

J’observe le plafond de verre.

– Ça va ? demande Sophie en posant une main chaude sur mon avant-bras.

– Oui. C’est juste le décalage horaire. Tu t’es décidée pour le jean ?

Elle sourit timidement et regarde ses pieds, puis elle repose les yeux sur moi.

– Je vais prendre celui que tu aimes en deux couleurs différentes.

– Parfait, So. Passons à la caisse.

Elle me précède et je ne peux m’empêcher de mater ses fesses. Elles rendent un peu moins bien dans sa robe que dans le jean, mais elles restent très jolies.

Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?

C’est vrai que je n’ai pas tiré mon coup depuis longtemps, mais mon comportement est vraiment « too much », même pour moi. Sophie est douce. Certainement pas mon style habituel. En général, je vise la fille qui sait s’amuser. Celle qui part aussitôt après l’amour ou le petit déjeuner qu’elle me laisse lui préparer. Cette fille-là connaît les règles. Elle n’est pas douce. Elle sait ce qu’elle veut et elle l’obtient. Je fais partie de ces mecs chanceux qui tirent parti de la libération sexuelle des femmes. Toute femme qui partage son corps avec moi est bien traitée. Sans exception.

Ce que je ne fais pas, c’est séduire les clientes pour coucher avec elles, leurs jambes autour de mes hanches et moi qui m’enfonce férocement en elles jusqu’à en oublier mon nom. Mais Sophie suscite tout ça chez moi, et c’est très distrayant.

Mais peut-être que Bo a raison. Peut-être devrais-je la conduire dans mon lit tout en étant honnête. Les femmes n’aiment pas qu’on leur mente. Or, la franchise est toujours une pente glissante qui peut poser des problèmes. Si on en dit trop, elles se froissent. Si on n’en dit pas assez, elles se sentent trahies.

Je ne sais pas où se situe Sophie dans tout ça. C’est pour cette raison que je ne compte pas aller jusque-là… tant que nous ne serons pas conscients des conséquences et que chacun les acceptera. Les relations à distance, sur des continents différents, ne font pas partie de mes projets. Je n’ai jamais eu et n’aurai jamais cette intention-là.

L’attirance est pourtant là. Et je ne suis pas le seul à la ressentir. Si j’avais été un autre homme, j’aurais pu suivre la douce Sophie dans la cabine d’essayage et la prendre contre le mur. Mais elle mérite bien mieux qu’un coup rapide. Elle mérite une histoire d’amour, des fleurs et toutes les choses que je ne suis pas prêt à lui donner.

Bo me tire de mes pensées en me tapant sur l’épaule.

– Ne t’en fais pas. Tu verras, tout te semblera plus clair demain matin. Tant que tu ne te réveilles pas le bras coincé sous une fille…

Il sourit de toutes ses dents.

Je tousse et éclate de rire. Bo sait toujours éclairer les situations les plus compliquées. Et il a raison. Demain, tout ira bien. Le bonheur est un choix. On vit sa journée comme on se lève. Une chose est sûre, demain, je me réveillerai seul.

Tout seul.

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